
Gaz naturel liquéfié : de l’urgence à la réflexion, un retour à la raison nécessaire
EN BREF
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Depuis le début de la crise en Ukraine, l’approvisionnement européen en gaz naturel liquéfié (GNL) a connu une transformation radicale, passant d’une forte dépendance envers le gaz russe à une reliance accrue sur le gaz américain. Toutefois, cette transition pose de nombreuses questions environnementales, notamment en raison de l’impact climatique lié à l’extraction du gaz de schiste et à la nécessité de liquéfier et transporter le gaz sur de longues distances, ce qui entraîne des émissions de gaz à effet de serre supérieures. En parallèle, de lourds investissements dans de nouveaux terminaux de GNL sont réalisés, bien que leur nécessité soit remise en cause. Cette situation crée un faux sentiment de sécurité et de stagnation face à l’urgence climatique, alors que des solutions alternatives et des efforts d’efficacité énergétique devraient être privilégiés pour réduire la dépendance au gaz fossile.
Le gaz naturel liquéfié (GNL) est devenu un sujet brûlant dans le contexte géopolitique actuel, en particulier suite aux bouleversements causés par la guerre en Ukraine. Alors que l’Europe tente désespérément de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, elle s’oriente vers de nouvelles sources, notamment le GNL en provenance des États-Unis. Ce choix, bien qu’urgent, soulève des inquiétudes considérables sur ses conséquences environnementales, économiques et climatiques. Il est impératif de passer de la précipitation à une analyse approfondie de cette ressource, afin de trouver un équilibre entre la sécurité énergétique et la durabilité.
Une dépendance renouvelée : de l’Europe à l’Amérique
La guerre en Ukraine a radicalement transformé le paysage énergétique européen. Auparavant, le vieux continent était fortement dépendant de la Russie pour son approvisionnement en gaz. Désormais, cette dépendance se déplace vers les États-Unis, où la part du gaz américain dans le mix européen a fait un bond, passant de 5% en 2021 à 20% début 2023. Pendant ce temps, le gaz russe, auparavant prépondérant, a vu sa part chuter de 40% à 10% sur la même période.
Cette transition rapide vise à garantir l’approvisionnement énergétique, mais elle soulève de multiples questions. Quel est le coût environnemental de ce gaz ? Quelles sont les implications économiques de cette nouvelle dépendance ? Ces préoccupations deviennent de plus en plus pressantes alors que l’urgence climatique demeure une réalité incontournable.
Les conséquences environnementales du gaz américain
Le gaz naturel qu’achète l’Europe aux États-Unis est en grande partie du gaz de schiste, dont l’exploitation est totalement interdite en France depuis 2011. Avant même de discuter de l’impact régional de cette méthode d’extraction, il est essentiel de noter qu’extraire du gaz de schiste entraîne des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui peuvent être de 2 à 3 fois supérieures à celles associées à l’extraction du gaz conventionnel.
Ces chiffres alarmants s’expliquent par deux facteurs : l’augmentation de l’énergie consommée durant la fracturation hydraulique ainsi que les fuites de méthane qui se produisent durant le processus d’exploitation. En effet, le forage horizontal et les longues périodes de stabilisation des puits sont responsables d’une plus grande quantité de gaz perdu dans l’atmosphère.
Au-delà des fuites observées lors de l’extraction, la nécessité de liquéfier le gaz avant son transport représente une autre source de gaspillage énergétique. Environ 10% de l’énergie est perdue à ce stade, tandis que la nécessité de maintenir le méthane à l’état liquide sur de longues distances entraîne également des rejets de méthane supplémentaires.
Une alternative risquée : comprendre l’impact du GNL
Un autre élément à prendre en compte est la manière dont le gaz russe et américain arrive en Europe. Alors que le réseau de gazoducs traditionnel de la Russie est souvent critiqué pour sa vétusté, il est essentiel de rappeler que la majorité du gaz russe était précédemment fourni sous forme liquéfiée, représentant 70% en 2020, et s’élevant même à 100% aujourd’hui.
Dans un contexte où le gaz américain est perçu comme une alternative à la dépendance énergétique envers la Russie, il est critique de considérer qu’il émet en réalité entre 20% et 45% de gaz à effet de serre de plus en phase d’extraction et de transport par rapport au gaz russe. En comparaison, les émissions de combustion se chiffrent à environ 190 gCO2e/kWh.
Des arbitrages coûteux et un retour sur investissement douteux
Face à cette situation, l’urgence a poussé l’Europe à investir massivement dans de nouveaux terminaux méthaniers, notamment en Allemagne, pour un coût estimé à 7 milliards d’euros. Cependant, une question cruciale demeure : ces infrastructures sont-elles vraiment nécessaires ? Selon une analyse de l’IEEFA, la demande européenne de GNL pourrait atteindre 150 à 190 milliards de m3 d’ici 2030, alors que les capacités cumulées des terminaux de GNL pourraient se monter à près de 400 milliards de m3.
Ce déséquilibre potentiel entre l’offre et la demande soulève des inquiétudes quant à la rentabilité de ces investissements, dont une proportion substantielle est financée par des fonds publics. Cette situation pourrait créer un précédent pour retarder l’action climatique, les gouvernements ressentant une pression pour rentabiliser ces infrastructures, même si cela implique de freiner les efforts de décarbonation à long terme.
L’illusion de la sécurité énergétique : un hiver 2022-2023 atypique
Le début de l’année 2022 avait été marqué par un prix record du gaz naturel européen, atteignant 345 euros le MWh. Mais la situation a ensuite évolué, l’hiver 2022-2023 étant finalement passé sans interruption majeure d’approvisionnement et les prix ayant chuté à 40-50€/MWh au premier semestre 2023. L’ironie réside dans le fait que ce prix avait été d’environ 20€/MWh avant mai 2021. Cela signifie qu’il ne s’agit plus seulement d’une simple dynamique de marché ; c’est le marché du GNL qui, désormais, détermine les tarifs.
L’apparente tranquillité que l’Europe a connue cet hiver doit cependant être considérée avec prudence. D’une part, l’Europe avait stocké du gaz russe pendant le premier semestre 2022, avant que les approvisionnements ne soient coupés. D’autre part, la Chine, en raison de ses mesures de confinement, avait contribué à réduire la pression sur la demande mondiale de GNL.
Une dépendance à long terme envers le GNL : une route semée d’embûches
Les projections de l’analyse effectuée par des experts, tels que ceux du Shift Project, sont alarmantes. Si l’Europe ne parvient pas à réduire significativement sa consommation de gaz dès cette année, l’hiver prochain pourrait être tout aussi délicat, avec des prix potentiellement très élevés. En effet, d’ici 2025, environ 60% des besoins européens en gaz ne seront pas couverts par des contrats, laissant l’UE dépendante d’un marché de gros qui n’offre pas toujours un approvisionnement fiable.
Dans cette optique, il est impératif d’explorer les méthodes permettant de réduire la consommation de gaz, car cela demeure le meilleur levier pour éviter de tomber à nouveau dans la dépendance envers des ressources potentiellement polluantes et coûteuses.
Sortir du fossile : un impératif urgent
Nous sommes à un moment charnière où il devient essentiel d’anticiper les crises climatiques, les impacts économiques liés aux actifs échoués, et notre dépendance énergétique. Actuellement, le gaz est consommé à 50% dans nos bâtiments, 25% dans l’industrie et 20% dans la production d’électricité et de chaleur. Les alternatives pour réduire cette consommation existent et doivent être mises en œuvre sans tarder.
- Remplacer rapidement les chaudières à gaz par des solutions plus durables comme les pompes à chaleur, des systèmes de géothermie, du solaire thermique, ou des réseaux de chaleur bas-carbone. Il est crucial de réserver notre gaz renouvelable pour des usages difficilement décarbonables tels que la chaleur à haute température ou la mobilité lourde.
- Isoler massivement les bâtiments. Bien que des efforts soient faits, la France n’a atteint en 2022 que 100 000 rénovations de bâtiments performantes, alors qu’il en faudrait plus de 700 000 chaque année jusqu’en 2050.
- Adopter une politique de sobriété structurelle qui invite les citoyens à réduire leur consommation énergétique directe à domicile ainsi que leur consommation indirecte liée aux produits manufacturés par l’industrie.
Consommer moins d’énergie, une voie vers l’autonomie
Nous avons déjà abordé en mars 2020 que consommer moins d’énergie pourrait permettre de rompre avec notre dépendance au gaz russe dans un délai record. Être économe en énergie devient ainsi non seulement une question de responsabilité environnementale, mais également une opportunité économique qui offre des bénéfices tangibles : une balance commerciale plus équilibrée, une plus grande autonomie géopolitique, la création d’emplois locaux, ainsi qu’une meilleure maîtrise des factures.
Alors, que fait-on ? L’heure est à l’action réfléchie. L’urgence de la situation ne doit pas nous pousser à des décisions irréfléchies. Au contraire, il est temps de repenser notre approche du gaz naturel liquéfié et d’envisager des solutions plus durables qui préservent notre planète tout en garantissant notre sécurité énergétique.

Témoignages sur le Gaz Naturel Liquéfié : De l’Urgence à la Réflexion
La récente crise de l’approvisionnement énergétique a mis en lumière l’importance du gaz naturel liquéfié pour l’Europe. Néanmoins, cette réponse rapide soulève plus de questions qu’elle n’en résout. En effet, alors que des solutions d’urgence ont été mises en œuvre, il est essentiel de réfléchir aux conséquences à long terme de telles décisions.
Un expert du secteur énergétique souligne : « Passer d’une dépendance au gaz russe à une dépendance au gaz américain n’est pas la solution durable que l’Europe espérait. Il est crucial d’examiner l’impact environnemental de l’exploitation du gaz de schiste, qui est bien plus polluant que le gaz conventionnel. » Cette transition précipitée vers les importations américaines soulève de nouveaux enjeux climatiques qui nécessitent une attention immédiate.
Un entrepreneur engagé dans les énergies renouvelables témoigne : « Nous avons tous ressenti l’urgence d’assurer un approvisionnement énergétique, mais nous ne pouvons pas ignorer les émissions de gaz à effet de serre liées au GNL. L’objectif devrait être de réduire notre consommation d’énergie, plutôt que de simplement changer de fournisseur. » Son propos met en exergue la nécessité d’une approche plus holistique dans la gestion des ressources énergétiques.
Un représentant d’une ONG environnementale ajoute : « Les projets de terminaux méthaniers, certes, ont été mis en place rapidement, mais beaucoup pourraient être superflus. Nous devons nous interroger sur le gaspillage des deniers publics dans des infrastructures qui, à terme, pourraient compromettre notre transition vers un avenir durable. » Ce questionnement est fondamental pour éviter de répéter les erreurs du passé.
Un chercheur en politique énergétique insiste : « Il est essentiel de revenir à des discussions rationnelles sur nos besoins énergétiques. Éviter une crise climatique est un impératif qui doit guider toutes les décisions futures. » Son appel à une réflexion profonde s’inscrit dans un contexte où l’humanité doit faire face à des choix difficiles pour son avenir.
Aujourd’hui, les voix qui appellent à un retour à la raison se multiplient. Dans un contexte où le changement climatique et la dépendance énergétique sont palpables, il est crucial d’entamer une nouvelle voie qui soit compatible avec les objectifs de durabilité. Nous ne pouvons pas nous permettre de subir les conséquences de décisions prises dans l’urgence.